dimanche 10 avril 2016

L’homme au chapeau…


La semaine passée, nous avons eu deux fois la visite d’un huissier de justice. Toujours la même personne (l‘homme au chapeau, c’est lui !), un habitué des lieux désormais !

La première fois, le mardi 29 mars vers 11h00, à l’heure du café : « y a quelqu’un ? ». Nous sommes en train d’ébouser dans la stabulation : «  oui !  » Répondons nous avec enthousiasme. Et puis : « Oh non, c’est lui ! ». Nous posons la fourche et la bouse qui est dedans pour prendre un « commandement de quitter les lieux » dès ce jour, notre délai sur la maison étant dépassé.



Le lendemain, l’huissier sous la pluie. La caméra de FR3 l’a pris à sa descente de voiture, mais ne l’a pas suivi. Il nous demande de se mettre à l’abri sous le hangar. Hésitations, puis « OK ! ».  Et puis, on voit son vigile qui vient surveiller la situation. Marcel s’énerve… Alors là, non ! Si on est gentil, il renvoie son flic privé à la voiture ! L’huissier repart sous la pluie, demander à son vigile d’aller sagement l’attendre dans la voiture puis revient nous voir…


Pour nous remettre  un procès-verbal de tentative d’expulsion. Cela ressemble plus à une visite de courtoisie qu’à une tentative d’expulsion. « Vous êtes toujours là ? » ; « oui, il nous est difficile de déménager une ferme en 2 mois… » ; « Je peux m’appuyer sur la brouette pour remplir mes papiers ? Je vous explique…Comme vous refusez de vider les lieux, je m’en vais devant le Préfet afin de requérir la Force Publique en vue de procéder à une expulsion par la force ».


Je ne sais si vous avez déjà lu des romans de Jonas Jonasson, histoires burlesques et complètement déjantées où les héros se retrouvent dans des situations invraisemblables mais tellement divertissantes. Nous avons l’impression d’être dans l’une de ses histoires absurdes, mais une histoire qui n’en est pas moins réelle, comme en témoigne la pile de documents juridiques qui commencent à s’amonceler chez nous.

Une histoire qui garde encore tout son suspens comme tout bon roman qui se respecte mais c’est désormais à chacun d’en écrire la fin ! (sur invitation du Président de la République…)


dimanche 3 avril 2016

avec les grévistes de la faim de Calais


Nous entrons, 5 ou 6 grévistes sont là sur des divans et des chaises. Les lèvres cousues ne sont pas choquantes, cela me fait penser à des piercings. Nous n’entrons qu’à 5 mais il y a peu de place. Quatre Anglais sont là et discutent tranquillement. On se demande si on dérange, si on doit s’insérer dans la conversation ou parler de la pluie et du beau temps. Est-ce juste de l’incompréhension ? Ou avons-nous commis une maladresse ? Marie et S commencent à parler en anglais et le dialogue se met en place peu à peu.  La double barrière du langage rend le dialogue difficile et long : du français à l’anglais puis de l’anglais au farsi et réciproquement.
 

Nous exprimons notre soutien sur le mode d’action, les valeurs qu’ils défendent et nous disons les liens que nous voyons entre nos combats.

 Nous expliquons notre organisation avec grévistes et groupe d’accompagnement, notre calendrier d’action pensé avant et calé sur les élections présidentielles, le relai entre grévistes et les exigences revues à la baisse (pas d’aéroport devenu pas d’expulsions).

 Ils disent qu’ils n’ont pas confiance dans leur interlocuteur de la préfecture (directeur de la cohésion sociale) : il peut dire oui, mais ne tient pas ses promesses. Lors d’un mouvement de grève de la faim, il y a trois ans ce fut déjà le cas.

Nous, nous avons obtenu des engagements écrits, ils étaient diffusés dans la presse et il était difficile de ne pas les tenir.
Ce n’est qu’au bout de 20 jours que notre grève a commencé à être entendue et à inquiéter les décideurs.

 

Leurs exigences sont de deux ordres : pas de destruction de la partie nord de la jungle et qu’il y soit apporté plus de confort et d’autre part la mise en place d’un bureau britannique pour enregistrer les demandes des migrants.

Ils n’inquiètent personne et se demandent s’il faut aller plus loin, cesser de boire, se coudre les paupières pour être enfin entendus.

Cela nous fait peur : une grève de la soif est rapidement mortelle.
 Des lésions supplémentaires risquent de mettre de la distance avec les soutiens possibles, de rendre la communication plus difficile sans inquiéter les décideurs, bien au contraire. Nous gardons ces commentaires pour nous et la suite nous donne raison.

 

Ils ont peur lors de l’arrêt de leur grève, d’être à la merci de la police qui les aura repérés. 

C’est vrai ! cela met mal à l’aise. Quoi que l’on fasse, nous sommes toujours blancs avec papiers. Le contraste est fort.

la police fait toujours partie du paysage
 

Un Anglais qui vient d’entrer nous demande si nous avions des moments dépressifs. Eh bien , non, portés par les militants, détestés par les porteurs du projet que nous gênions vraiment. C’était très confortable sur le plan moral. 

Ils nous remercient pour le déplacement et le temps consacré. 

Nous nous quittons après des embrassades fraternelles. . Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés, mais heureusement plus que 20 mn.
 

A la conférence de presse, peu de journalistes, désolant.

conférence de presse.... noter le bulldozer à l'horizon
 

Nous faisons une mise en commun avec S, M et leurs amis : - conditions très dures sur le plan moral –cadre très déprimant, peu de relai   - peu de soutien alors qu’ils se battent pour la communauté des migrants  - et surtout le rapport de force n’y est pas. 

Nous cherchons ensemble comment améliorer ce rapport de force.

 l'équipe ayant fait le voyage
 

De retour, deux jours plus tard, nous apprenons qu’ils ont cessé leur action. Leur communiqué laisse perplexe : « nous avons décidé d’arrêter notre grève de la faim…par respect pour ceux qui nous soutenaient, qui avaient un réel souci de notre bien-être et comme un geste de confiance que l’Etat tienne ses engagements…. » 

C’est une bonne décision pour leur santé et pour continuer à  lutter pour les droits des migrants. 

Nous espérons vraiment qu’ils en gardent une haute estime d’eux-mêmes. Ils sont des êtres humains, restés debout dans des conditions très dures et qui se sont battus pour leurs frères.

Merci aux copains et copines pour leur relecture

De Marcel, paysan à Notre dame

samedi 2 avril 2016

de Notre Dame à Calais


S m’appelle et me demande si je pourrais venir soutenir les grévistes de la faim de Calais. Cela me semble une bonne idée. Ce n’est pas à gérer seul ; il faut garder l’esprit d’équipe que nous avions en avril 2012. On dit moins de conneries à plusieurs, et puis l’idée des bouches cousues me fait un peu peur. Un mot de soutien est écrit suite à l’AG du mardi : attention à ne pas parler au nom d’organisations qui ne sont pas là et donc on signe AG et grévistes de la faim, c’est facile de faire valider rapidement. Il s’agit d’un texte qui soutient des hommes très engagés, mais en restant humbles dans un contexte que nous, grévistes de 2012 connaissons mal.

 

On arrive à caler un départ pour le mercredi 23 mars : quatre du groupe des grévistes et quatre militants. On veut faire le tour dans la journée, car il fait beau et il y a du boulot à la ferme.

 

A l’arrivée : accueil par M, S et K, nous rentrons dans la jungle : un bidonville fait de cabanes bricolées avec des bâches, c’est coloré et propre. Nous mangeons dans un restaurant afghan ; en fait, tout le commerce est géré par les Afghans.


rue commerçante
 

M nous explique qu’il y a beaucoup d’aide matérielle plutôt caritative. Les gens ne manquent pas de vêtements ni de nourriture, mais n’ont rien, leurs affaires peuvent tenir dans un sac de courses.

la jungle et sa partie normalisée: 16 personnes par contenaire avec un système de reconnaissance anthropomorphique
 

Les grévistes de la faim sont soutenus par des Anglais à titre amical, mais ayant en premier le souci de leur santé et les incitant à arrêter.

 

Nous avons fait un point avant d’arriver. Il est clair que notre position ne peut être que de témoigner. Nous allons parler à des adultes, à eux de prendre leur décision.

 

Nous nous dirigeons vers la cabane des grévistes. Le spectacle et déprimant. Dans cette zone évacuée et détruite, il ne reste que la mosquée, l’église, l’école, la cabane de lecture et celle des grévistes.
les lieux de culte église et mosquée ont été  préservés
 


la cabane des grévistes de la faim
 

Deux bulldozers en arrière-plan aplanissent le terrain de ce qui fut un lieu de vie. Des CRS patrouillent nonchalamment. Ils ont des sur-bottes en plastique ; faut pas se salir.

 

Avant d’entrer, quelqu’un nous dit : « il vous reste 20 mn, au-delà la préfecture vient négocier »…
de Marcel paysan à Notre Dame