dimanche 24 mars 2013

Une réponse au livre "Aéroport du Grand Ouest : pourquoi j'y crois"

Nantes, le 22 mars 2013

Monsieur le président de la Région Pays de la Loire et du Syndicat mixte aéroportuaire,

Retraité nantais, simple électeur et à l’occasion “citoyen vigilant” devant le Conseil Général depuis plus de 4 ans, je ne me sens pas visé par votre accusation du bas de la page 11, n’ayant pas attendu que notre maire soit à Matignon pour militer contre ce projet inutile et imposé. Aussi, après avoir passé quelques heures à vous lire, permettez-moi de vous faire part de mes réactions éparses, sans toutefois reprendre tous vos arguments archi-connus, car un contre-argumentaire, lui aussi archi connu, virerait une fois de plus au dialogue de sourds.
Je note juste quelques détails. Vous vous gardez bien de signaler que les pistes de l’AGO  ne seront pas parallèles (et donc pas utilisables en même temps), qu’il n’y aura pas de taxiway (à la différence de Nantes-Atlantique), et qu’il ne serait pas nécessaire de construire une ligne de chemin de fer pour desservir tout de suite Nantes-Atlantique (puisqu’elle existe déjà)… Bref, que AGO sera globalement moins bien que Nantes-Atlantique qui est, comme vous le reconnaissez p. 29 “le seul aéroport à vocation internationale dans l’Ouest”, desservant actuellement 30 pays étrangers. Plus beau, mais moins bien et pas plus sûr. Et plus neuf, donc plus cher, proposera-t-il autant de services ? Et puis, les corneilles des derniers arbres abattus à Nantes-Atlantique étaient soi-disant dangereuses pour les avions. Les nombreuses haies bocagères tant vantées d’AGO seront-elles peuplées d’oiseaux plus compatibles avec l’aviation ?

Votre livre m’a d’abord surpris par sa mauvaise foi. Votre argument page 64 sur la création d’emplois me semble caricaturalement court : “En toute bonne foi, personne ne peut contester que la décision de faire cet aéroport créera effectivement des milliers d’emplois à terme”. Personne ? Vous n’avez pourtant plus l’âge de croire au Père Noël. Votre croyance naïve est affichée en gros sur la couverture de votre livre.  Les “Je crois” reviennent 12 fois au fil des 90 pages. Tout est question de foi dans un avenir radieux du libéralisme productiviste. Vous allez jusqu’à croire (pp. 33 et 62) au “retour à meilleure fortune”. Cela nous ferait rire si nous n’étions pas des contribuables.
Avez-vous eu le temps de lire ce que les experts de l’OCDE déclarent dans leur Étude Économique de la France (publiée le 19 mars 2013, page 27) : Certains “aéroports régionaux risquent de représenter une charge pour les générations futures. De même, certaines dépenses d’investissement au niveau local n’auront qu’un effet négligeable sur la croissance future. Par conséquent, la rentabilité des projets d’investissement public devrait être évaluée avec soin.” Personne donc ne conteste les “milliers de créations d’emploi” ? Amen !

Revenons à votre livre. Le PDF permet de compter les occurrences du langage... Par exemple, vous aimez bien parler à la première personne : 43 “vous” contre 91 “nous” et 152 “je”. De même, le mot “décision” revient 21 fois, “choix” 11 fois, “action” 31 fois mais “réflexion” 0 fois ! Comme beaucoup de décideurs français, vous aimez l’adjectif “grand” et l’employez 82 fois. 27 occurrences pour “croissance”, 54 pour “développement” mais seulement 6 pour “pollution”, 3 pour “empreinte écologique”, 2 pour “biodiversité”, 1 seule pour “réchauffement climatique” et 0 pour “loi sur l’eau”. Plus curieux également : 2 “ressource”, 2 “kérosène”, 1 “pétrole” et 0 “transition énergétique”. Avez-vous oublié qu’il fallait du pétrole ? Enfin, aucune occurrence pour paysans, gendarmes, CRS, Opération César, grenades. Autres oublis ou bien votre aéroport est-il une vue de l’esprit ?

Vous semblez aussi en vouloir à Hervé Kempf et à son article à propos du préfet Hagelsteen, “Notre-fric-des-landes” (Le Monde du 4 novembre 2012, article que vous ne citez pas). Dans votre chapitre “La diffamation d’un veuf”, p. 78, vous trouvez odieux d’établir un lien entre “ses fonctions ici, il y a de nombreuses années, et son recrutement” chez Vinci Autoroutes en avril 2011. Préfet à Nantes du 20 juin 2007 au 3 juillet 2009, Bernard Hagelsteen a été responsable de l’enquête préalable à la DUP de l’aérodrome (comme on l’appelait alors) de Notre-Dame-des-Landes et a préparé l’appel d’offre remporté ensuite par Vinci, alors que ce même M. Hagelsteen est à la Cour des comptes pour un dernier poste de haut fonctionnaire. Puis, il prend sa retraite à 64 ans et commence une nouvelle vie professionnelle, cette fois chez Vinci. Moins de deux ans, c’est pour vous “de nombreuses années” ?
Votre mauvaise foi ne s’arrête pas là puisque, toujours à propos de sa reconversion, vous signalez pp. 78-79 que la commission de déontologie “s’est prononcée favorablement. Pourquoi aucun média parlant du sujet n’en a-t-il fait état ?” Cela s’est fait “dans la légalité”, insistez-vous. Il se trouve pourtant que, dans l’article incriminé, M. Kempf écrivait : “Son transfert, visé par la commission de déontologie des fonctionnaires, est légal.” Il en faisait donc état.
Votre paragraphe lapidaire de la page 55 contre M. Kempf et le CE-Delft ne permet néanmoins pas de résoudre “Le mystère des 911 millions” (article d’Hervé Kempf sur Reporterre : http://www.reporterre.net/spip.php?article3885), de même que, sur votre blog, vous n’avez, à ce jour, pas répondu à Jean-Denis Gauthier (à propos des pp. 96-97 de la pièce F de l’enquête préalable à la DUP). Des mystères qui restent entiers.

À propos de croyance, encore, vous affirmez p. 82 “Je crois toujours au progrès”, tout en précisant : au “progrès” dans le sens 19e et début 20e siècle. Pourquoi vous arrêter au début du 20e siècle ? Si vous croyez vraiment à l’AGO, pourquoi ne pas englober les progrès de l’aéronautique ? Auriez-vous honte de ces progrès polluants ? Quand vous écrivez “toujours”, voulez-vous dire que vous croyez au progrès par principe, ou que vous y croyez encore, malgré les malheurs du 20e siècle dus au progrès (par exemple, avec l’atome) ? À moins que vous ne vouliez dire début du 21e siècle ? Déjà, p. 12, vous proposiez un “saut de 40 ans dans le passé”, c'est-à-dire, page suivante, en 1928 … soit 85 ans. Et vous reconnaissez sur votre blog avoir mis 2001 au lieu de 2000 p. 46. Il y a décidément bien des flous dans vos chiffres. Il est vrai que vous n’êtes plus professeur de mathématiques depuis 1972. Pour le coup, il y a de nombreuses années.

Vous adoptez une posture “Développement Durable” à longueur de pages. Le greenwashing d’AGO est en effet sidérant. Le film publicitaire fait rêver ! Les toits végétaux et les parkings bocagers sont du plus bel effet. Je préfère cependant garder les terres de Notre-Dame-des-Landes dans leur configuration actuelle, avec leurs paysans. Pour des raisons autant globales que locales.
Défendre l’agriculture paysanne ici et là-bas, c’est défendre une agriculture de proximité, plus conviviale, vécue à une échelle humaine et tournant le dos au productivisme qui va de pair avec le business pétrochimique mondialisé. Vous semblez le contester puisque vous avez déclaré : "On ne nourrit pas la planète avec une agriculture de proximité" (Nouvel Observateur, 13 décembre 2012). Je crois au contraire que les Africains seraient bien contents de retrouver la maîtrise de leur alimentation plutôt que de voir leur production locale se faire casser par la concurrence de nos produits et par la mondialisation qui les oblige à cultiver les aliments pour notre bétail afin de rembourser leurs dettes. Et chez nous, c'est aussi sur une agriculture de proximité que nous comptons pour nous garantir une alimentation saine et un approvisionnement sans les aléas du marché du pétrole ou de Monsanto. La transition énergétique ne permettra peut-être plus, un jour, d'importer notre nourriture de l'autre bout du monde.
Cet aéroport fait le pari du développement de l’aviation en nous privant de terres agricoles bocagères à 25 km de chez nous. Quand il n’y aura plus de pétrole pour les avions, les pistes seront toujours là alors que nos enfants aurons plus besoin que jamais de prairies.

Vous revendiquez avoir fait ce pari, ce choix “pour nos enfants” (p. 88). C’est votre appréciation. Page 11, vous déclarez “préférer une société en mouvement et tournée vers l’avenir”, avant de dénigrer “le modèle rétrograde proposé” par les zadistes. On peut voir dans leurs expérimentations des pistes pour les générations futures qui ne connaîtront pas la sérénité que notre génération a connue. Ils sont, par la force des choses, moins naïfs que nous. Ils savent qu’entre 1980 et 2005, malgré un grand ralentissement par rapport aux 30 glorieuses, il y a eu 156% de croissance du PIB alors que le chômage augmentait de 50%. Il n’est donc pas surprenant qu’ils ne croient pas à la religion de la croissance et qu’ils cherchent d’autres voies.
Votre chapitre sur la décroissance est particulièrement de mauvaise foi et votre histoire comique sur les mammouths est pitoyable, indigne de vous. Vous refusez la notion d’empreinte écologique et vous vous attaquez aux objecteurs de croissance (que vous appelez avec mépris les “décroissants”) en retournant malhonnêtement les choses à l’envers. En aucun cas, les objecteurs de croissance ne veulent “priver le Tiers-monde” (p. 84). Votre ouvrier vietnamien et votre patriarche africain n’ont rien à craindre d’eux. C’est au contraire notre société de consommation qui crée cette inégalité : 20% des humains consomment 80% des richesses mondiale. Cherchez l’erreur. C’est notre niveau de vie qui est dangereux pour la planète, pas celui des pays sous-développés ! C’est notre système qui les maintient dans leur misère afin de nous permettre de polluer impunément (on a même inventé un marché des droits à polluer). L’Africain consomme moins d’une demi-planète quand le Français en consomme 2,5. C’est à nous de réduire, pas à eux ! C’est grâce à cette sobriété imposée que la planète est encore vivable. Pour combien de temps ?
C’est bien aux générations futures qu’il faut penser, en réfléchissant deux fois avant de foncer droit dans le mur des limites de la planète, si l’on ne veut pas connaître deux de vos phobies, à savoir un retour à la “vie paléontologique” ou un régime “rutabaga” (en auriez-vous trop mangé pendant la guerre ?). Il ne faudrait pas qu’en pariant sur le développement du trafic aérien à l’horizon 2100 (les enfants qui naissent aujourd’hui seront alors encore vivants), au lieu d’anticiper sur la transition énergétique, on obtienne un scénario à la grecque conduisant au déclin de notre belle région, qui n’est ni à la traîne, ni enclavée !

Comme vous le rappelez, la région se peuple de plus en plus. Vous prévoyez (pp. 10 et 66) que le “transfert” permettra d’“accueillir 15 000 habitants à l’intérieur du périphérique plutôt qu’en péri-urbain où ils consommeraient dix fois plus d’espace” agricole. Ce nouvel argument écologiste est pure mauvaise foi. Car ces terrains nantais ne seront pas vendus au même prix que les lotissements ruraux et il y aura donc, malheureusement, autant de terres agricoles détruites pour loger ceux qui, comme aujourd’hui, partent loin pour payer moins. Cet épineux problème foncier ne sera pas réglé... Il mériterait de l’être !

“Les procédures républicaines ont toutes été respectées”, écrivez-vous p. 67. Encore heureux ! Vous semblez scrupuleux sur la légalité procédurière, en oubliant qu’elle n’est pas synonyme de légitimité. Toutefois la loi sur l’eau sera-t-elle respectée ? Pourquoi le projet arrêté par la DUP a-t-il été revu à la baisse ? Pas de réponse dans votre livre.

J’ai connu des Vendéens qui autrefois me disaient du bien de vous. Je vous ai serré la main lors d’un festival de lycéens. Pour la deuxième fois, j’ai voté pour vous au deuxième tour en 2010 car les déclarations conjointes avec EELV annonçaient que la région ne financerait pas cet aéroport (ce que vous vous gardez bien de rappeler p. 22). Je me sens donc aujourd’hui trompé, et je ne pense pas voter de nouveau PS.
Que vous arrive-t-il ? Vous dénoncez une posture polémique chez les opposants et en même temps vous  faites des déclarations belliqueuses à leur égard en présentant votre livre. Vous voulez “assumer quand on expulsera” après avoir remarqué : “Ce n’est pas plus compliqué qu’au Mali” (“Jacques Auxiette charge les opposants”, Ouest-France du 15 mars 2013, p. 6). Suggérez-vous par là que Nantes-Atlantique doive bientôt redevenir l’aéroport militaire qu’il était à l’origine, d’où les Mirage partiront bombarder la ZAD ? Je n’ose évidemment y croire, mais vos propos donnent froid dans le dos.

En revanche, vous avez raison de refuser une société fermée et sclérosée, mais il n’y a pas que l’avion pour s’ouvrir aux autres. Le tourisme de masse à bas-prix conduit bien souvent à consommer du soleil postcolonial dans des complexes hôteliers, plutôt qu’à découvrir une autre culture. L’exemple de votre dandy (p. 83), avec son micro-onde, m’a à la fois touché et peu convaincu, car on peut concrètement découvrir la culture chinoise sans prendre l’avion. On trouve de bons restaurants chinois à Nantes et nous avons par ailleurs accès au cinéma et à la littérature chinoise. J’ai moi-même toujours rêvé d’aller en Chine, mais s’il vous plaît, ne m’obligez pas à y aller, il me serait ensuite interdit d’en rêver…

J’ai bien compris au fil de ces pages que vous croyez à l’AGO, que vous en rêvez. Mais avez-vous réalisé que s’il était construit, vous ne pourriez plus en rêver ?

Voici pour finir le conseil fraternel d’un retraité heureux : laissez donc la place aux jeunes, et arrêtez de vous fatiguer avec ce dossier. Je vous souhaite sincèrement une retraite apaisée.

Cordialement,
Michel Berjon



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