Nous entrons, 5 ou 6 grévistes sont là sur des divans
et des chaises. Les lèvres cousues ne sont pas choquantes, cela me fait penser
à des piercings. Nous n’entrons qu’à 5 mais il y a peu de place. Quatre Anglais
sont là et discutent tranquillement. On se demande si on dérange, si on doit
s’insérer dans la conversation ou parler de la pluie et du beau temps. Est-ce
juste de l’incompréhension ? Ou avons-nous commis une maladresse ?
Marie et S commencent à parler en anglais et le dialogue se met en place peu à
peu. La double barrière du langage rend le dialogue difficile et
long : du français à l’anglais puis de l’anglais au farsi et
réciproquement.
Nous exprimons notre soutien sur le mode d’action, les
valeurs qu’ils défendent et nous disons les liens que nous voyons entre nos
combats.
Nous expliquons notre organisation avec grévistes et
groupe d’accompagnement, notre calendrier d’action pensé avant et calé sur les
élections présidentielles, le relai entre grévistes et les exigences revues à
la baisse (pas d’aéroport devenu pas d’expulsions).
Ils disent qu’ils n’ont pas confiance dans leur
interlocuteur de la préfecture (directeur de la cohésion sociale) : il
peut dire oui, mais ne tient pas ses promesses. Lors d’un mouvement de grève de
la faim, il y a trois ans ce fut déjà le cas.
Nous, nous avons obtenu des engagements écrits, ils
étaient diffusés dans la presse et il était difficile de ne pas les tenir.
Ce n’est qu’au bout de 20 jours que notre grève a
commencé à être entendue et à inquiéter les décideurs.
Leurs exigences sont de deux ordres : pas de
destruction de la partie nord de la jungle et qu’il y soit apporté plus de
confort et d’autre part la mise en place d’un bureau britannique pour
enregistrer les demandes des migrants.
Ils n’inquiètent personne et se demandent s’il faut
aller plus loin, cesser de boire, se coudre les paupières pour être enfin
entendus.
Cela nous fait peur : une grève de la soif est
rapidement mortelle.
Des lésions supplémentaires risquent de mettre de la
distance avec les soutiens possibles, de rendre la communication plus difficile
sans inquiéter les décideurs, bien au contraire. Nous gardons ces commentaires
pour nous et la suite nous donne raison.
Ils ont peur lors de l’arrêt de leur grève, d’être à la
merci de la police qui les aura repérés.
C’est vrai ! cela met mal à l’aise. Quoi que l’on
fasse, nous sommes toujours blancs avec papiers. Le contraste est fort.
la police fait toujours partie du paysage |
Un Anglais qui vient d’entrer nous demande si nous
avions des moments dépressifs. Eh bien , non, portés par les militants,
détestés par les porteurs du projet que nous gênions vraiment. C’était très
confortable sur le plan moral.
Ils nous remercient pour le déplacement et le temps
consacré.
Nous nous quittons après des embrassades
fraternelles. . Je
ne sais pas combien de temps nous sommes restés, mais heureusement plus que 20
mn.
A la conférence de presse, peu de journalistes,
désolant.
conférence de presse.... noter le bulldozer à l'horizon |
Nous faisons une mise en commun avec S, M et leurs
amis : - conditions très dures sur le plan moral –cadre très déprimant,
peu de relai - peu de soutien alors qu’ils se battent pour la
communauté des migrants - et surtout le rapport de force n’y est pas.
Nous cherchons ensemble comment améliorer ce rapport de
force.
l'équipe ayant fait le voyage |
De retour, deux jours plus tard, nous apprenons qu’ils
ont cessé leur action. Leur communiqué laisse perplexe : « nous
avons décidé d’arrêter notre grève de la faim…par respect pour ceux qui nous
soutenaient, qui avaient un réel souci de notre bien-être et comme un geste de
confiance que l’Etat tienne ses engagements…. »
C’est une bonne décision pour leur santé et pour
continuer à lutter pour les droits des migrants.
Nous espérons vraiment qu’ils en gardent une haute estime
d’eux-mêmes. Ils sont des êtres humains, restés debout dans des conditions très
dures et qui se sont battus pour leurs frères.
Merci aux copains et copines pour leur relecture
De Marcel, paysan à Notre dame
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