Contrairement à ce qui
est affirmé dans « le Monde », ce qui a été obtenu n'est absolument
pas un moratoire, c'est-à-dire une suspension du projet jusqu'à réexamen sur le
fond, suivi d'une nouvelle procédure de décision.
Ce n'est pas non plus le
gel des expropriations et expulsions exigé par les grévistes de la faim et leur
comité de soutien : seulement la garantie de l’État (par le biais des
collectivités locales) et du concessionnaire qu'il n'y aura pas d'expulsions
pour les paysans, propriétaires et habitants installés avant février 2008 (date
de la déclaration d'utilité publique) ayant refusé l'accord amiable avec Vinci,
jusqu'au rendu des recours déposés avant le 4 mai 2012 auprès des
juridictions françaises (hors tribunal administratif), les juridictions
européennes étant exclues.
Cela peut sembler bien
peu, et
très restrictif, et pourtant c'est considérable.
D'abord parce que c'est
notre première victoire :
nous n'avions jamais rien obtenu depuis le départ (sauf coups, gazages,
condamnations diverses, insupportable harcèlement au quotidien des flics, de
Vinci) ; nous n'avions même jamais
obtenu la discussion sur le fond de nos arguments dans une ou des
confrontations loyales avec les porteurs du projet alors que nous avions
eu des centaines de réunion d'échanges avec les populations locales, que nous
avions convaincues.
C'est aussi la reconnaissance
de l'existence de recours (qui ont des chances sérieuses d'aboutir, et il
semble que ceci a un peu interpellé l'entourage de Hollande). Jusqu'ici, le discours
de JM Ayrault était que « c'était
plié, que tous les recours avaient été tentés et perdus » : en fait il
parlait des deux recours « normaux » contre la DUP perdus en 2007 et
2008, car nous n'avions pas à l'époque les éléments qu'a fait surgir l’enquête
indépendante du CE Delft. JM Ayrault feignait d'ignorer les divers recours que
nous avions déposés depuis (et qu'il espère toujours nous voir perdre, très
probablement à tort).
C'est aussi un répit
de deux ans pour les agriculteurs concernés, qui vivaient une situation
insupportable psychologiquement et pratiquement, et qui peuvent poursuivre leur
exploitation, sur des terres situées à des emplacements stratégiques (futures
piste nord, tour de contrôle...). Même si l’arrêt des travaux ne figure pas sur
le papier, c'est de fait presque un gel, le début de ces derniers devient très
difficile, y compris politiquement. Rappelons que AGO/Vinci est déjà
propriétaire sur la ZAD des terres acquises au cours des quarante dernières
années par le Conseil Général, et que ce dernier lui a rétrocédées ; c'est
l'une de nos difficultés.
Si les squatteurs
ne sont pas pris en compte (ce qui était totalement impossible à obtenir par
écrit dans une bagarre à dimension juridique, les squatteurs étant illégaux,
quoique légitimes), s'ils sont expulsés, d'autres endroits de la ZAD
permettront leur accueil.
C'est aussi une immense
victoire idéologique et médiatique : le mouvement de grève (28 jours) et
l'intense travail d'explication mené sous le barnum auprès des visiteurs et des
médias a fait basculer bien des nantais, des journaux, jusqu'ici indécis ou
favorables au projet. Nous avons acquis un capital de sympathie bien au-delà de
ce que nous pouvions imaginer avant le déclenchement de la grève de la faim.
C'est donc dans de bien
meilleures conditions que nous allons poursuivre notre lutte, dans l'immédiat contre
les expropriations, dont la procédure va se poursuivre, avec les visites sur le
terrain du juge chargé des estimations.
Nous avons gagné deux
ans (peut-être au-delà... et rien n'est fait pour l'instant sur la compensation
des zones humides), dans une stratégie constante, assumée, où nous essayons
de retarder le plus possible ce projet. Nous sommes convaincus qu'il
deviendra de plus en plus difficile à réaliser car il apparaîtra de plus en
plus fou dans le contexte de crise financière, écologique, climatique qui est
la notre actuellement. Nous vivrons son abandon, et celui d'autres grands
projets inutiles imposés.
Il aura fallu 15 jours
pour que les élus des collectivités territoriales écrivent aux grévistes pour
les assurer qu'ils partagent nos valeurs (!), les priant de ne pas mettre leur
santé en péril, 27 jours pour que le secrétaire fédéral du PS44 se déplace
square Daviais au campement des grévistes... Leurs discours compassionnels,
leurs affirmations sur leur « sens du dialogue » ne peuvent nous
faire illusion, et Jacques Auxiette, président PS de la région Pays de Loire
vend la mèche sur ses intentions en exprimant tout son mépris des opposants
: « nous avons fait un geste réel concernant le traitement humain de
l'étape délicate des expulsions, étape ultime des expropriations légales. Mas
passés les quelques recours engagés, la construction de l'aéroport se
poursuivra » Qu'il le croie ! Citoyens responsables, nous
surveillerons nos élus, présents et futurs. Dans chaque réunion électorale
pré-législatives, partout en France des militants interpelleront les candidats
sur le projet d'aéroport. La lutte continue !
Tous,
grévistes ou soutiens, avons vécu un mois inoubliable, quelque chose d'inouï
dans une vie militante... Michel a dit mardi soir lors de la 'première soupe'
(le bouillon de légumes public marquant la fin de la grève) qu'il avait pendant
ces 28 jours vécu « de [notre] amour
et d'eau fraîche ». Je tiens à redire encore une fois merci à tous.
On ne lâche
rien !
De Geneviève
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